Point de vue - PS : Ce qui doit changer

Publié le par Réinventer la gauche

Par Jérôme Leparoux, 21 mai 2008


Chacun semble s’accorder sur la nécessité de rénover le PS, voire de le reconstruire, en tout cas de le remettre sur pied. Après trois défaites consécutives à l’élection présidentielle, dont la dernière s’est doublée d’une déroute idéologique, il est en effet urgent d’agir, et d’agir en profondeur.

Si l’on veut, non pas simplement préserver les acquis locaux d’un parti « municipalisé », mais bel et bien refonder une force progressiste capable de répondre aux enjeux de notre époque qui s’inscrivent, eux, dans un cadre mondial, alors nous devons nous parler sans faux-semblant. Le congrès de Reims ne peut pas être une répétition des deux précédents, qui n’ont été que des congrès d’attente. Il doit, au contraire, être l’occasion d’une remise à plat véritable, non seulement de nos orientations de fond, mais aussi et tout autant de nos manières d’être et de faire de la politique. Voici ce qui, a minima, doit changer.

Les débats artificiels qui nous paralysent.

Il est temps d’enterrer la querelle stérile sur la nature plus ou moins sociale-démocrate de notre parti, et sa variante opposant de soit disants Archaïques à de prétendus Modernes. Tout comme la question sans réponse de la primauté du Leader sur le Projet ou du Projet sur le Leader : on n’a jamais vu un projet recueillir les suffrages sans être porté par une personnalité crédible, ni un candidat l’emporter sans proposer une vision mobilisatrice de la société - la leçon nous a été durement rappelée en 2007.

            Ces querelles nous épuisent et nous détournent de l’essentiel. Aux yeux de nombreux militants, elles ne servent qu’à justifier les positionnements de nos candidats au poste de premier secrétaire ou à l’élection présidentielle et à appuyer leurs stratégies de neutralisation réciproque.

            Ce ne sont pourtant pas les vrais sujets qui manquent. A quand un débat de fond sur les régulations à inventer pour domestiquer le capitalisme financier de ce début de 21ème siècle ? Les graves crises spéculatives que nous traversons - crédit, denrées alimentaires, énergie - devraient nous y obliger. A quand des propositions pour maîtriser les lourdes conséquences industrielles, sociales et écologiques d’un commerce mondial libéralisé et en expansion? La gauche américaine, elle-même, en fait un enjeu électoral. A quand un véritable projet pour relancer l’intégration politique européenne et démocratiser enfin les institutions de l’Union ? Le poids croissant de la Chine et de l’Inde en souligne la nécessité. La liste est longue des questions fondamentales sur lesquelles on ne nous entend pas. Ce n’est pas en attendant l’alternance que nous créerons l’alternative.

Un rapport au pouvoir biaisé par le mythe de l’alternance.

 Une génération entière de nos dirigeants – celle qui est aux commandes aujourd’hui - s’est formée aux responsabilités politiques non pas dans les combats et la conquête du pouvoir, mais dans les certitudes des cabinets ministériels. Pour l’essentiel, elle aura navigué au sein d’un PS déjà dominant à gauche, sans autre ambition apparente que d’administrer la rente politique léguée par la génération précédente, pour arriver au pouvoir à son tour, l’heure venue. Tenir l’appareil, en attendant le « retour de balancier » : c’est ce à quoi semble se résumer le projet politique de nombre de nos candidats.

Le PS est certes devenu, grâce à F. Mitterrand et L. Jospin, un parti de gouvernement, maîtrisant les rouages de l’action administrative et de l’appareil d’Etat. Mais voilà : sans travail politique de fond, cela ne suffit pas à faire de nous les bénéficiaires d’une alternance que nous fantasmons. Le pouvoir ne « tourne » pas selon les règles d’on ne sait quelle rythmique électorale, même quand le rejet des sortants atteint des sommets - nous en avons fait l’humiliante expérience, un certain 21 avril. Il se conquiert.

Il est donc temps de remettre la question de la conquête du pouvoir – pas seulement celle de son exercice, souvent d’ailleurs restreinte à une dimension gestionnaire voire « managériale » (!) - au centre de nos réflexions. La Vème République, en l’espace de cinquante ans, a vu défiler cinq présidents de droite. Le seul président de gauche a mis vingt-trois ans – de 1958 à 1981 – pour créer, à force de volonté, les conditions de succès d’une alternative. Il aura fallu au passage transformer la gauche en profondeur. Notre tâche, aujourd’hui, n’est pas moins grande. Elle impose d’oser choisir ce que nous voulons.

Le souci de l’opinion plus que du citoyen.

 L’œil rivé sur les enquêtes d’opinion, nous sommes passés maîtres dans l’art de juxtaposer les intérêts antagonistes de la société, dans l’espoir de rassembler les électeurs ou de ne pas les froisser… Une telle posture ne peut mener qu’à la mollesse des propositions et au soupçon d’opportunisme. Nous ne pouvons plus nous contenter d’être le simple miroir des attentes - par nature contradictoires et fluctuantes - de l’opinion, tant il est vrai qu’on ne prépare aucune victoire politique durable en cherchant à plaire plutôt qu’à convaincre.

            Rappelons l’évidence : un parti politique a vocation à proposer une vision normative de la société, fondée sur des valeurs. Nous devons donc reprendre le combat sur le terrain idéologique que nous avons délaissé et, à l’aune de nos idéaux de solidarité et de justice sociale, de primauté de l’intérêt général et de maîtrise de notre destin collectif, de transparence démocratique et, en définitive, d’égalité de chacun en dignité, choisir. Comment articuler la sphère politique et la sphère économique ? Quel poids pour les salariés dans les décisions d’entreprise ? Quelle évolution du temps de travail et quelle position vis-à-vis des 35 heures ? Quel système de retraite défendons-nous ? Quelle répartition des richesses, quel impôt et quelle redistribution ? Quel espace pour le service public ? Quelle politique d’immigration voulons-nous ? Le concept de « démocratie participative » – comme si la démocratie n’était pas fondée sur la libre participation des citoyens – n’est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de prendre position. Le principe de réalité, si souvent rabaché, prend pour sa part des allures d’alibi.

                Nous n’avons d’utilité en tant que parti politique que si nous sommes capables, comme l’a fait N. Sarkozy à nos dépens, d’affirmer nos valeurs, de défendre notre idéal de société, de promouvoir nos propositions, bref de vouloir. C’est le préalable incontournable au rassemblement des forces de progrès et à la création d’une majorité alternative qui ait les moyens d’agir.

La difficulté à considérer la gauche dans son ensemble.

 Parallèlement, il faut sortir de l’impasse stratégique qui consiste à enfermer le PS dans le choix exclusif d’un repositionnement soit plus à gauche, soit plus au centre. Notre impératif, aujourd’hui, consiste au contraire à « ouvrir le compas », pour occuper un espace politique plus large. Cela ne peut se faire que d’une manière : d’abord rassembler la gauche, ensuite – et ensuite seulement – élargir vers la partie la plus modérée de l’électorat. Inverser la séquence ne peut conduire qu’à la dilution de notre raison d’être, à la défection de notre base électorale et finalement au renforcement de la gauche dite radicale.

            Là se situe justement un des impensés de nos débats stratégiques. A force de vouloir nous libérer d’un pseudo « surmoi marxiste », nous nous sommes interdits d’analyser sereinement l’espace occupé par la gauche de la gauche et les dynamiques qui la traversent. Par peur de nous compromettre – intellectuellement s’entend – nous avons renoncé à appréhender la gauche dans sa globalité, notamment sa composante alter mondialiste.

Il faudra bien, néanmoins, à l’image des stratégies « d’union de la gauche » ou de « gauche plurielle », que nous trouvions la manière de rassembler les forces de gauche qui sont prêtes à gouverner. Il faudra aussi que, loin d’être les otages de l’extrême gauche, nous sachions traduire politiquement les préoccupations réelles dont elle se fait l’écho de manière démagogique. Nous réduirons ainsi son espace politique et sa capacité de nuisance, dans un contexte où la popularité d’O. Besancenot alimente le risque d’émergence d’un pôle contestataire au potentiel électoral élevé.

 
            La victoire de 1981 reposait sur l’optimisme d’un changement possible, appuyé sur des valeurs, desquelles découlaient 110 propositions qui ont accompagné la modernisation de l’économie française, dont la revalorisation du SMIC, l’abaissement de l’âge de la retraite, la semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la démocratie dans l’entreprise... La victoire de 1997, quant à elle, était fille des mouvements sociaux de l’hiver 1995 et d’une idée volontariste pour réduire le chômage : le partage du travail et les 35 heures.

Dans les deux cas, nous étions porteurs d’un projet pour le salariat. Dans les deux cas, la gauche a su se rassembler. Telles sont aujourd’hui encore les pistes à explorer pour préparer l’échéance de 2012. Cela signifie, d’une part, revivifier la démocratie interne, en associant autant que possible le monde syndical à nos débats, afin de définir un nouveau pacte social, écologique et européen qui s’inscrive dans une perspective post-libérale. Et d’autre part, enclencher le processus de désignation d’un candidat unique de la gauche à la prochaine élection présidentielle, probablement par le biais d’une primaire.

Le prochain congrès peut amorcer la refondation non pas simplement du PS, mais de la gauche dans son ensemble. Il est temps d’oser de nouveau.

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